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Comment les administrations espagnoles réutilisent les logiciels - Interview avec Elena Muñoz Salinero sur leurs meilleures pratiques.

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Le Centre de Transfert Technologique (CTT) est une initiative du gouvernement espagnol, dont le but est de faciliter le partage et la réutilisation des logiciels et services au sein des administrations publiques. Nous avons interrogé Elena Muñoz Salinero, directrice du CTT, sur les questions juridiques, politiques et technologiques au cœur du CTT.

Pour cette première interview de notre série pour la campagne Public Money? Public Code!, nous avons demandé à Elena Muñoz Salinero, Directrice du Pôle des Système Télématiques au sein du Secrétariat Général de l'Administration Numérique du Ministère des Finances et de la Fonction Publique d'Espagne. Pour ces fonctions, elle dirige le Centre de Transfert Technologique du Gouvernement Espagnol dont le but est de promouvoir la réutilisation de solutions logicielles entre les administrations publiques, par la publication du code sous licence Logiciel Libre. Nous allons discuter ici des travaux juridiques et techniques du CTT, de l'obligation par les administrations espagnoles d'utiliser et réutiliser les Logiciels Libres, des questions de licences, de combien les autres administrations et utilisateurs même en dehors de l'espagne peuvent en bénéficier.

Photo de Elena Muñoz Salinero

Elena Muñoz est diplômée d'Ingénierie en Télécommunications de l'Université Polytechnique de Madrid, et a rejoint l'Administration Générale d'État en 2003. Elle est désormais directrice du Pôle des Systèmes Télématiques au sein du Secrétariat Général de l'Administration Numérique du Ministère des Finances et de la Fonction Publique d'Espagne. Depuis 2007, entre autres activités, elle a travaillé dans le domaine de la réutilisation des applications et services fournis par les administrations publiques, et dirige le Centre de Transfert Technologique à l'initiative du gouvernement espagnol.

FSFE  Vous dirigiez le Centre de Transfert Technologique (CTT) du gouvernement espagnol, dont le but est de promouvoir la réutilisation des solutions logicielles entre les administrations publiques. Pouvez-vous nous donner un aperçu des travaux légaux et politiques du CTT, et de ce que vous faites pour accomplir ce but ?

Comme vous l'avez dit, le Centre de Transfert Technologique (« CTT ») publie un répertoire des solutions logicielles fournies par les administrations publiques espagnoles (au niveau local, régional ou national). Ceci permet aussi développement collaboratif de programmes informatiques pour le gouvernement numérique dans la CTT-Forge, aujourd'hui intégrée à GitHub.

Le CTT a vu le jour en 2007, comme réponse aux mandat légal établi par l'article 46 de la loi 11/2007, dite Pour l'Accès Numériques des Citoyens aux Services Publics. À cette époque il avait déjà été constaté qu'il n'était possible d'avoir des services publics électroniques transverses efficaces que si les administrations publiques partageaient leurs avancées. Les exigences de réutilisations ont été étendues sous forme de Cadre National d'Interopérabilité.

Finalement, en 2016, de nouvelles exigences ont été mises à jour et renforcées dans les articles 157 et 158 de la nouvelle loi 40/2015 sur le régime légal du secteur public, la loi élémentaire du secteur public espagnol qui régit comment les administrations publiques doivent travailler. Comme vous pouvez le constater, le partage et la réutilisation des technologies d'information et de communication en Espagne est un concept fondamental.

FSFE : Est-ce que le CTT ne propose que des solutions libres, c'est à dire dont le code est publié sous licence Logiciel Libre ou licence Open Source ? Si oui, savez vous quelle est la licence mise en avant par les administrations espagnoles ?

Depuis le début du projet, nous pensons que « partager et réutiliser » est un concept plus large que le Logiciel Libre. Pour nous, ce concept a toujours été lié à la réutilisation des services, qu'on appelle de nos jours les « services cloud ».

Au CTT, on peut trouver des solutions réutilisables de tous types : applications, services communs, données sémantiques, etc. Les applications peuvent être complètement « open source », ne l'être que pour les administrations publiques, ou réservées à l'utilisation au sein du secteur public. Cette décision revient au fournisseur.

Notre recommandation et licence favorite est l'EUPL (European Union Public Licence, la Licence Publique de l'Union Européenne), bien que nous acceptons évidemment toutes les autres licences open source.

FSFE : Hébergez-vous le code des logiciels vous-mêmes au Centre de Transfert Technologique, ou êtes vous plutôt une sorte de base de données des solutions existantes, qui redirige ses visiteurs vers les hébergeurs du code des autres projets ?

La réponse est « les deux ». Nous sommes à la fois une « sorte de base de données » des solutions existantes, mais vous pouvez choisir d'héberger le code au CTT, l'héberger à la CTT-forge (sur GitHub), or l'héberger sur n'importe quelle autre plateforme. Nous sommes très souples.

« Le concept principal est que les Administrations Publiques doivent partager ce qu'elles ont développé elles-mêmes si une autre Administration Publique leur demande. »

FSFE : Est-il impératif pour une administration publique de passer par le CTT et d'employer une solution Logiciel Libre, plutôt que d'autres solutions, comme des alternatives moins chères basées sur des logiciels privateurs ? En pratique, comment cette obligation se traduit elle ?

Le concept principal est que les Administrations Publiques doivent partager ce qu'elles ont développé elles-mêmes si une autre Administration Publique leur demande. Bien sûr, elles doivent avoir les droits de « propriété intellectuelle » pour le faire.

La nouvelle loi stipule qu'avant de développer quoi que ce soit de nouveau, les Administrations Publiques doivent vérifier s'il existe une application ou un service similaire répertorié au CTT. Si c'est le cas, elles doivent le réutiliser.

Toutefois, si elle peut justifier qu'il existe une alternative adaptée à son organisation qui utilise n'importe quelle autre solution (open source ou privatrice), elle peut l'utiliser.

FSFE : Aidez-vous les autres administrations de manière pro-active, ou si elles vous demandent de trouver une solution qui correspond à leurs besoin ? Doivent elles trouver la solution elles-mêmes ? Proposez vous de l'aide, quelle qu'elle soit ?

Chaque solution est responsable de son propre support, mais il n'est pas obligatoire. Elles contribuent gratuitement, donc c'est à elles de décider si elles fournissent du support ou non. Notre ministères est effectivement l'un des plus gros fournisseurs de solutions réutilisables pour les autres administrations publiques. Nous fournissons beaucoup de solutions open source, et beaucoup de services cloud pour toutes les administrations publiques. Nous essayons de couvrir les besoins principaux pour fournir les services du gouvernement numérique. Dans ce cas, nous fournissons du support à quiconque essaye de les utiliser.

FSFE : Qu'en est-il des logiciels qui sont toujours développés par les administrations espagnoles ou qui ont été développés mais qui ne sont pas encore des Logiciels Libres ? Aidez-vous ces administration à libérer leur logiciel, et à le mettre sur votre dépôt ? Mettez-vous à disposition une aide juridique ou un support communautaire ?

Nous aidons les administrations publiques de différentes manières dans leur effort de libération de leur logiciels. Nous avons développé un guide très intéressant pour elles : Réutilisation des ressources - Guide de la publication et des licences des ressources. Le CTT propose aussi un service de support où il est possible de poser des questions sur les procédures, comment choisir une licence, etc. Bien sûr, nous sommes de grands utilisateurs du support de la Commission Européenne au sujet de la licence EUPL disponible sur JOINUP.

FSFE : Lors de la conférence « Partager et réutiliser » de l'année dernière, l'Espagne a été récompensée par quatre prix dans trois catégories pour quatre solutions Logiciel Libre différentes. Pensez-vous que le Logiciel Libre est un sujet d'ampleur, ou d'importance croissante au sein de la culture des administrations espagnoles  ?

Ces prix sont simplement la preuve et la récompense de tous les efforts menés depuis plusieurs années en Espagne. Le Logiciel Libre n'est pas un sujet d'importance croissante dans la culture administratives espagnole, mais un fait avéré.

FSFE : Comment est perçu le CTT par les diverses administrations espagnoles ?

Les retours sont très positifs, dans tous les sens. Nous avons beaucoup de fournisseurs, et beaucoup de réutilisateurs.

« Il y a encore besoin d'un changement de culture d'ampleur, de garder en tête que les logiciels développés doivent être réutilisables à l'avenir. »

Néanmoins, la remarque la plus fréquente est la diversité des licences open source. Si nous n'avions qu'un jeu de licences plus réduit, l'analyse pour libérer le logiciel n'en serait que plus simple et les fournisseurs seraient plus enclins à libérer leurs solutions.

L'autre point noir est que la réutilisation logicielle n'est pas aisée. Plus un produit est gros, plus il devient difficile de le réutiliser. Tous les produits créés par les administrations publiques (et dans toutes les autres grosses entreprises) sont personnalisés pour les besoins spécifiques d'une organisation. En général, ils n'ont pas été développé de sorte à ce que n'importe qui puisse les réutiliser. Il y a donc toujours des efforts à faire (parfois beaucoup) pour les adapter à un nouvel environnement.

Il y a encore besoin d'un changement de culture d'ampleur, de garder en tête que les logiciels développés doivent être réutilisables à l'avenir.

FSFE : Serait il pour une administration en dehors de l'Espagne de trouver de l'aide auprès de vos services, ou d'y ajouter ses solutions logicielles ?

Toute administration publique, qu'elle soit en Espagne ou ailleurs peut être utilisatrice et contributrice de toutes nos solutions open source. Nous ne fournissons du support et n'ajoutons néanmoins des fonctionnalités que pour les administrations publiques espagnoles.

FSFE : Y a-t-il possibilité pour nos lecteurs qui ne travaillent pas dans une administration espagnole de contribuer au répertoire des solutions logicielles du CTT ?

Bien sûr. Une grande partie de nos solutions sont déjà sur GitHub, où vous pouvez aider et contribuer comme vous le feriez avec n'importe qui. Certaines de nos solutions open source ont déjà une communauté active où tout le monde peut contribuer.

Entretien mené par : Erik Albers

Avec sa campagne Public Money? Public Code! (Argent Public ? Code Public !), la FSFE demande à ce que les logiciels financés par de l'argent public soient publiés sous licence Logiciel Libre. Pour faire comprendre notre demande, nous faisons une série d'interviews qui mettent en lumière les exemples de réussites et de meilleures pratiques. Les personnes que nous allons interroger sont des femmes et hommes politiques ou des décisionnaires, des figures d'autorité ou des développeurs, qui d'une manière ou d'une autre participent au code public.