"L’interopérabilité du DMA viole les droits fondamentaux", Apple conteste. La FSFE n'est pas d'accord. Si vous pensez également que l'interopérabilité est essentielle à la liberté des logiciels, soutenez-nous !

OMPI

Discours sur la relation entre normes et brevets à l’OMPI, SCP/151

Par  le  

Résumé : les normes logicielles doivent pouvoir être implémentées par tous les logiciels quel qu’en soit le business model, ce qui inclut les logiciels libres. Quand des brevets sont intégrés à des normes logicielles, leurs licences doivent être rédigées de manière à ne restreindre d’aucune sorte leur implémentation. Notre définition de l’absence de toute restriction inclut la gratuité d’exploitation des brevets pour tout tiers qui implémente la norme.

Je vous remercie, Monsieur de Président, de donner la parole à la Free Software Foundation Europe sur le sujet important de la relation entre les normes et les brevets. Sachez que nous apprécions la qualité de votre présidence au cours des débats qui s’avèrent fructueux et qui ne mettent personne de côté.

Le document SCP/13/2 fournit un bon de point de départ, car il indique clairement que les normes forment le socle nécessaire aux économies d’échelles et à la concurrence loyale. Nous entendons limiter nos commentaires à ce qui concerne les normes logicielles.

En novembre 2008, M. Karsten Meinhold, président de la commission spéciale sur la propriété intellectuelle de l’institut européen des normes de télécommunications a mis en avant que : « La propriété intellectuelle et les normes ont des objectifs différents : la propriété intellectuelle est destinée à un usage privatif et exclusif tandis que les normes sont destinées à un usage public et collectif ».

Avant de commenter plus précisément le document, je voudrais attirer votre attention sur les raisons qui font que ce sujet nécessite une vigilance particulière malgré ses fortes composantes techniques.

Selon l’OCDE, les PME rassemblent à elles seules 90 à 98% du nombre total d’entreprises dans les différentes économies. Cela reflète la situation de l’industrie du logiciel. Dans les pays en voie de développement, la proportion des PME dans le tissu économique est encore plus importante.

Les barrières à l’entrée dans le marché du logiciel sont faibles ; plusieurs géants du logiciel d’aujourd’hui ont commencé leur activité dans leur garage. Ils ont pu croître rapidement car ils n’étaient pas étouffés par les brevets de leurs concurrents, et souvent parce qu’ils se sont révélés capables d’implémenter des Standards Ouverts de manière innovante. Les logiciels libres, aussi connus sous l’appellation d’Open Source, abaissent encore davantage ces barrières à l’entrée.

Selon une étude Gartner, 100% des entreprises d’aujourd’hui utilisent des logiciels libres dans leurs systèmes. La fondation Linux prévoit qu’en 2011 les logiciels libres permettront 50 milliards d’économies.

Les logiciels libres représentent aussi une occasion unique pour les pays en voie de développement et pour les pays émergents. Quand ils importent des logiciels privateurs, ils deviennent dépendants vis-à-vis des entreprises qui les leur ont fournis. À l’inverse, quand ils utilisent des logiciels libres, ils favorisent la croissance de leur industrie locale. Cela contribue à la création de centres de compétences et d’experts de ces technologies qui créent de la richesse pour l’économie du pays.

C’est là un résumé très concis des perspectives économiques offertes par les logiciels libres. Toutefois, c’est un arrière-plan nécessaire pour le débat sur les normes et les brevets que nous avons ce jour.

Les normes impliquent toujours un large accès au public, une accessibilité tant du processus de création de la norme que de sa consultation. Il est par conséquent important de comprendre qu’un Standard Ouvert doit répondre à une plus grande exigence d’accessibilité que celles décrites par l’article 41 du document SCP/13/2.

Il est en outre capital d’ajouter que les standards ne sont pas nécessairement des normes, mais bien souvent des formats privateurs conçus par des vendeurs qui ont su s’imposer sur le marché. C’est en raison de ces positions dominantes que la locution « standard de fait » décrit généralement des situations monopolistiques et correspond à l’absence de concurrence, ce qui est en contradiction avec le rôle fondamental des normes.

Ceci est particulièrement avéré pour les approches baptisées RAND ou FRAND. RAND signifie « Reasonable and Non-Discriminatory » [NdT : raisonables et non-discriminatoire]. En vérité, ce modèle discrimine les logiciels libres. Il exige que quiconque distribue un logiciel qui implante la norme s’acquitte de droits auprès du détenteur du brevet. À l’opposé, les licences de logiciels libres ne permettent pas d’exiger de redevances lors de la distribution d’un programme.

Par conséquent, les brevets inclus dans les normes logicielles doivent être placés sous une licence dénuée de redevances. Tout modèle de licence qui requiert le règlement de redevances rend l’implémentation de la norme impossible pour les logiciels libres.

D’aucuns disent que l’inclusion de brevets dans les normes selon les termes RAND est nécessaire pour encourager les entreprises à innover. La Free Software Foundation Europe n’est pas de cet avis. Nous participons au groupe du programme de développement et démontrons que le pouvoir de monopole conféré par le brevet s’accroît de manière exponentielle quand le brevet fait partie d’une norme.

Si une entreprise obtient un brevet, elle a déjà reçu un encouragement pour innover, sous la forme d’un monopole de vingt ans sur l’exploitation de l’invention, ce qui exclut toute concurrence. Pourquoi la société devrait-elle subir un coût plus important, plus substantiel encore, en conférant au détenteur du brevet un contrôle effectif de la concurrence sur le marché, en le laissant déterminer le prix d’une licence de son brevet ?

Aujourd’hui, le marché du logiciel ploie déjà sous les monopoles et sous les entreprises dominantes dans plusieurs domaines. Ce doit être le but d’une norme que de réduire les obstacles à la concurrence sur le marché des logiciels, plutôt que d’y contribuer.

La FSFE croit que le SCP gagnerait à analyser les différentes approches selon le critère d’inclusion de l’intégralité de l’industrie informatique et de tous les innovateurs ; et à identifier les éléments minimums nécessaires à faire des normes un moteur de concurrence, d’innovation et d’économies d’échelle.

Nous recommandons aussi que cette commission, dans ses délibérations, soit attentive à distinguer les différents domaines de normalisation puisque les exigences de chaque domaine sont différentes.

Dès le début du processus d’élaboration d’une norme, les organismes de normalisations devraient exiger la publication des brevets qui sont nécessaires à l’implémentation de la norme ainsi que de leurs conditions de placement sous licence.

Les organismes de normalisation devraient exiger que les brevets jugés essentiels à l’implémentation de la norme soient rendus disponibles gratuitement, ce afin de permettre son implémentation dans les logiciels libres (aussi connus sous l’appellation Open Source), y compris ceux distribués sous la licence GNU General Public License.

Nous recommandons notamment que les États membres mandatent le SCP afin de réunir un groupe d'experts pour examiner les meilleurs pratiques possibles ou des normes transverses qui prennent en compte certains problèmes quant aux brevets nécessaires à l'implémentation de technologies normalisées (appelés « brevets essentiels »).

Pour aller plus loin

Footnotes

  1. Comité permanent du droit des brevets : Quinzième session [SCP: Standing Committee on the Law of Patents]